Se débattre une fois de plus pour enfiler ses chaussures de marche usées. Une dernière fois. Se laisser surprendre par cet air chaud et humide qui vous prend à la gorge. Il est pourtant dix heures du soir mais il ne fait pas frais. Il ne fera jamais frais. Déambuler sur le trottoir, lentement, à son rythme. Esquiver les taxis qui tentent de vous écraser et slalomer entre les passants distraits. Peru... Defensa... Reconquista... Arrivé à la zone des restaurants, garder la tête basse pour éviter d'être alpagué par un restaurateur un peu trop entreprenant. Sourire au coin de la bouche quand même : ces fringues des années 60 qu'ils utilisent tous, vous les aviez oubliées... Traverser Paseo Colon, puis prendre un peu à gauche. Vers les arrêts de bus. Déjà à l'horizon, malgré l'heure tardive, se dessine l'ombre du 130. Le 130 a toujours été votre bus préféré. Il y a pourtant le 93 et le 60, qui sont tout aussi bien et qui vous mènent au même endroit. Mais le 130 a, pour d'obscures raisons, votre affection depuis le début. 80 centimes plus tard, assis au fond de ce vieux bus cahotant, vous revoilà de nouveau en terrain connu. Ce trajet vous l'avez fait des dizaines de fois. Des centaines peut-être. Corrientes... Cordoba... Santa Fe... On se rapproche. La tour Exon puis la Station Esso : il est temps de se lever. Chercher à tâtons la sonnette. Descendre. Puis traverser la rue sous les feux d'un taxi arrivant à vive allure. Libertad... Montevideo... Ca y est, vous y êtes. 1993... 1985... 1971, c'est là. Sonner. Ana répond. Courte conversation, puis l'interphone arrête de grésiller. Elle descend vous ouvrir, afin que vous puissiez récupérer quelques affaires propres, laissées chez elle. Vous levez machinalement les yeux vers l'immeuble d'en face. Une seule fenêtre est allumée. Celle du quatrième étage. Appartement A. Un appartement que vous connaissez trop bien... Votre ancien appartement.
Salauds.